Une dépèche : Lynchages à Nosy-be

04 octobre 2013
Tragiques évènements à Nosy-be . Questionnement ?

Nous sommes horrifiés par les faits : un enfant mort, trois hommes lynchés et brûlés. Mais nous sommes obligés de réagir avec indignation aux propos qui pleuvent sur les réseaux sociaux. Ces propos sont exactement du même ordre que la terrifiante logique qui a conduit à une mort sans procès de trois personnes présumées innocentes. Les photos qui circulent sur le web ne peuvent porter aucune gloire à ceux qui les partagent sur le mode « bien fait pour eux », encore moins à ceux qui ont pris ces photos et donc regardés ces scènes dignes des pires films d’horreur sans broncher, sans réagir. Témoins donc complices. « Qui ne dit mot consent «

Examen des faits rapportés à ce jour par différentes sources :

D’une manière générale, la version communément admise serait la disparition de plusieurs enfants ces derniers temps (à confirmer, car les gendarmes ne parlent pas de plaintes déposées à propos de ces enfants « disparus »). Un est décédé. Il aurait été retrouvé sur une plage, rejeté par la mer. Un des responsables de la gendarmerie rapporte qu’il manquait à l’enfant de 8-9 ans, son sexe et sa langue. Les habitants de Nosy Be en ont conclu à un trafic d’organes. Un homme a été emmené à la gendarmerie. Celle-ci aurait refusé de s’occuper de l’affaire prétextant que ce ne serait pas de sa compétence. Cet homme remis en liberté, aurait, sous la pression de la foule, cité deux noms : le français et l’italien qui se feront lyncher et brûlés sur la plage quelques heures plus tard.
Face au refus des forces de l’ordre, la foule a brûlé les résidences des gendarmes. Ceux-ci répliquant à balles réelles sur cette foule, faisant au passage au moins 1 mort et plusieurs blessés.


Après enquête, le français mort ferait régulièrement des allers-retours à Madagascar. Son ami italien était lui en situation irrégulière n’ayant pas renouvelé son visa. Tout le reste, hypothèses de bateau ou de glacière n’a jamais été confirmé par qui que ce soit : ni les journalistes, ni les gendarmes, ni des observateurs témoins. Morts, brûlés par une simple rumeur de trafic d’organes ! À cette heure donc, un Malgache, un Italien et un Français ont été brûlé par une foule en délire qui les accusent de trafic d’organes.


Mais comment est-ce possible qu’on en arrive à une telle sauvagerie ? La première évidence est de se pencher sur le cas de la première victime : l’enfant de 8 ans.
Comme le font remarquer certains observateurs, il serait courant qu’un noyé en mer se fasse dévorer les parties molles directement accessibles, par les poissons : sexe pour un homme, yeux, langue, etc. Mais soyons clair, le trafic d’organes s’il y a, se concentre sur des organes à hautes valeurs monétaires parce que rares et vitaux comme le cœur, les reins, etc. Que pourrait-on faire du sexe d’un enfant de 8 ans ! Ou de sa langue !! En considérant d’ailleurs que ces muscles puissent seulement être greffés. Si des gens pratiquaient de tels actes, cela ne pourrait pas être pour du trafic d’organes. Tout au plus ce serait un acte sauvage de sorcellerie barbare, ou un très mauvais maraboutage honteux. Trafic d’organes ??

Le trafic d’organes
Le trafic d’organes veut répondre à des besoins importants en organes humains, en vue de transplantations ou de greffes. Effectivement, un grand scandale mondial se fait sur le dos de la pauvreté. Certains riches malades dans l’attente désespérée de la transplantation vitale et las d’attendre un don dans leur pays respectif, vont dans les pays pauvres et achètent leur salut sur le dos de la misère. Ces pratiques se font en Chine (ou pays d’Asie comme les Philippines), en Inde, dans certains pays Sud-Américain et dans les pays de l’Est de l’Europe en général.
Mais pour faire et réussir une transplantation d’organe, la procédure est très précise. Elle nécessite des équipes médicales formées et compétentes. En Inde ou dans les pays cités, certains médecins s’en sont fait une spécialité dans des cliniques illicites. Pour faire une greffe d’organe, il faut donc : une équipe médicale ; un examen et un diagnostique précis du patient donneur ; un blog opératoire, même sommaire ; que le donneur soit vivant (endormi) ou en état de mort cérébrale ; le prélèvement doit se faire dans les règles ; l’organe prélevé est placé dans un environnement réfrigéré à moins de 4° (mais surtout de congélation risquant d’endommager de manière irréversible les organes) : ils sont en hypothermie. La suite est une course contre la montre : chaque heure est comptée. Entre le moment où l’organe est prélevé et le moment où il est greffé, il ne faut pas dépasser 3 à 4 heures pour un cœur, 12 à 18 heures pour un foie, 6 à 8 heures pour un poumon, 24 à 36 heures pour un rein. Ces délais sont des moyennes qui dépendent de l’état de l’organe. Il faudrait, dans le cas Nosy Be, que les présumés coupables aient : une salle d’opération, des connaissances chirurgicales sérieuses, une sorte de chambre froide pour conserver les organes. Et qu’ils puissent expédier leurs organes en avion pour pouvoir respecter les délais (le bateau est exclu, car pas assez rapide et ne disposant pas de pièce réfrigérée à 4° max).


En conséquences
Il faudrait donc imaginer qu’ils puissent prendre l’avion avec des glacières spéciales à l’aéroport de Nosy Be, passer la douane et les scanners… On pourrait imaginer qu’à l’aéroport de Nosy Be, avec un peu d’argent ceci serait possible… mais à l’aéroport d’arrivée??? Comment on fait ???? De Nosy Be, les avions vont essentiellement vers la France ou l’Italie. En Europe on ne rigole pas avec le trafic d’organes, et les contrôles aux aéroports sont extrêmement strictes. Vous imaginez le vacancier de retour de Nosy Be allant récupérer sa glacière à Orly ou Charles de Gaulle Étoiles ?!! Dans ces pays, il ne pourrait rien faire de ces organes. Il faudrait donc, qu’il prenne une correspondance pour aller dans des pays plus réceptifs à ce type de trafic. Donc re-douane, re-attentes, re-temps perdu… et des organes qui traîneraient dans des glacières pendant plus de 11 heures de vols !!… Tout de même très peu probable… Voir idiot. Le seul moyen de s’en sortir serait d’avoir un avion privé. Ce qui n’empêche pas d’avoir à rendre des comptes aux douanes ! Non ! Le trafic d’organes, ce tourisme médical, ne se fait pas dans ces conditions. Le malade vient dans le pays où il y a un réel trafic d’organes. Et la transplantation se fait sur place dans une clinique, même sommaire.


Alors ?
Ne pas être juge sans s’informer et analyser. Alors donc ? Pourquoi sont mortes ces trois personnes ? Pourquoi ont-elles été brûlées sauvagement ? À quoi correspondent ces remarques mal placées du genre « C’est bien fait pour eux », ou encore « s’ils ont vraiment fait du trafic d’organes sur l’enfant, ils ne méritent que ça » ? À l’ère où la peine de mort est en recul, trop controversée par des accusés condamnés à mort trop vite ou parce qu’ils avaient « la gueule de l’emploi », que peut bien valoir cette justice populaire ? De deux choses, l’une : soit ces personnes ont fait des actes répréhensibles et donc, elles auraient dû être jugées et subir les peines prévues en conséquences. Soit, elles sont innocentes, et alors QUEL DRAME ! Quelle horreur. Sébastien, Roberto et le Malgache auraient été lynchés et brûlés pour rien ! Prendre garde à la vindicte populaire. Je ne souhaite à personne, de ces gens qui pensent qu’ils ont mérité leur sort, de jeter un œil de travers à une foule en délire prête à tuer sur la seule conviction d’une rumeur. Bien sût, il faut faire toute la lumière sur le décès regrettable de l’enfant. Imaginez qu’il se soit simplement noyé par accident. Que les 3 personnes lynchées n’y soient pour rien. Que, bêtement, une personne aurait vu le garçon discuter avec ces deux étrangers quelques jours auparavant, comme d’ailleurs cela est fréquent là-bas : de jeunes enfants essayant de faire un petit business avec les touristes pour gagner un peu d’argent. L’excitation fait-elle de nous des enquêteurs sur-doués ? Où est la cause réelle du drame ? S’il y a des hypothèses à chercher, elles sont plutôt dans le laxisme et la corruption des forces de l’ordre, la justice et les représentants de l’état. Si il est des causes à chercher, elles se situent certainement dans un mal-être sourd entre une population pauvre et généralement sans emplois ou peu rémunérée, qui voient quelques étrangers faire fortune, et observent envieux, les riches touristes s’exhiber en tenue fluo sur les plages, et payés pour une nuit d’hôtel ce que les habitants de l’île ne peuvent gagner en un mois. Une forme de mal-être qui conduit à des actes désespérés. Une violence qui se généralise. Les actes de cet ordre sont de plus en plus fréquents à Madagascar.

On se souvient qu’il y a à peine deux mois, des vacanciers avaient été sauvagement attaqués à la machette sur la même île de Nosy Be. On n’oublie pas les ados délinquants de Diégo. Chaque semaine à Antananarivo on entend parler d’enfants (de bébés) violés, parfois coupés en deux. Dans le sud du pays, on ne compte plus les morts dans cette guerre sans fin entre dahalo (brigands) et les forces de l’ordre. Est-ce cela l’image que nous voulons donner de notre pays ? Il semble urgent de faire preuve de plus de discernement, de plus d’humanisme, d’un meilleur sens de l’accueil et de calme. Il est temps de se responsabiliser et de se prendre en main, plutôt que de vouloir mettre notre déchéance sur le dos des étrangers. N’encourageons pas les actes délictueux. Cela commence aussi par arrêter le lynchage médiatique qui se perpétue sur les réseaux sociaux quand des inconscients donnent raison à la foule coupable. Nul ne doit faire justice soit même. Les auteurs de ces lynchages barbares à Nosy Be sont des lâches malfaisants.. Ils iront sûrement, tranquillement à la messe dimanche, ou à la mosquée, convaincus d’avoir rendu justice. Mais ils ont bien tué sauvagement des innocents – en tout cas, dans l’état actuel des informations disponibles, ces victimes ne sont pas coupables de trafic d’organes, ce pour quoi ils ont été tués – cette foule n’est pas justicière, mais meurtrière. Prendre également garde aux amalgames et généralisations : cette foule n’est pas la population entière de Nosy Be, ni représentative de l’ensemble des malgaches bien loin de ce type d’attitude déplorable. Chacun de nous, malgaches, résidents ou touristes étrangers, chacun de nous peut demain être victime de cette foule et de sa « justice » expéditive qui n’hésitent pas à perpétuer des actes barbares au nom d’une simple rumeur. Celui qui a tué peut demain se retrouver victime de cette injustice, et d’autres innocents peuvent périr. Dénonçons, mais ne nous rendons pas complice de cette horreur. Et ne perdons pas notre temps à s’accuser les uns les autres.